Viernes Santo por Ermes Dovico

CONVEGNO/LA RELAZIONE DI COLLIN

Non è questo il discernimento di S.Ignazio

Il filosofo Collin sul discernimento: "Il suo intervento era dedicato a "Discernimento in coscienza?". "Mai S.Ignazio utilizza il discernimento sugli atti considerati intrinsecamente malvagi, la legge di Dio non può diventare un elemento tra gli altri, da ponderare in base alle situazioni".

Ecclesia 23_04_2017

Pubblichiamo di seguito l'intervento integrale in francese di Thibaud Collin, Docente di Filosofia morale e politica al Collège Stanislas, Parigi (Francia). Il suo intervento era dedicato a "Discernimento in coscienza?". "Mai S.Ignazio utilizza il discernimento sugli atti considerati intrinsecamente malvagi, la legge di Dio non può diventare un elemento tra gli altri, da ponderare in base alle situazioni. Molti argomenti utilizzati durante il sinodo sulla famiglia sono gli stessi utilizzati per contrastare Humanae vitae. Oggi, non a caso, in varie parti della chiesa Humanae vitae è semplicemente ignorata".

Nei prossimi giorni pubblicheremo le relazioni integrali tradotte.

Voilà plus d'un an que l'exhortation Amoris laetitia a été publiée. Or le débat portant sur l'interprétation de son chapitre 8 n'a pas cessé. Le débat s’est concentré sur la question suivante : quant à la discipline sacramentelle concernant les divorcés et remariés civilement (DR), le chapitre 8 opère-t-il un changement avec le magistère antérieur et si oui, ce changement est-il homogène? Matériellement presque tous les interprètes sont d'accord: ce chapitre est dans la continuité notamment de Familiaris consortio (FC); il n'y aurait pas rupture mais continuité. Mais formellement les avis divergent voire s'opposent. Ainsi certains[1] disent que ce chapitre est dans la continuité de FC parce que justement il n'apporte rien de nouveau (la discipline sacramentelle demeure). Au contraire, d’autres[2] affirment qu'il apporte du nouveau mais que ce nouveau est un développement homogène  de la tradition (dans certains cas les DR vivant more uxorio peuvent recevoir la réconciliation et la communion). Il s’agit alors d'expliquer en quoi ce changement disciplinaire est l'actualisation de ce qui était en germe dans FC n°84. Le problème est que certains arguments étayant cette interprétation apparaissent opposés à l’enseignement de Veritatis splendor (VS). En effet, ils semblent très proches de ceux utilisés par certains théologiens pour contester et minimiser la doctrine morale enseignée dans Humanae vitae (HV).

Cette étrange situation justifie pleinement la démarche des quatre cardinaux de formuler les cinq dubia. Ceux-ci peuvent être lus comme autant de problématiques en attente de résolution. Puisque certains passages du chapitre 8 peuvent recevoir des interprétations contradictoires, le peuple de Dieu est en droit d’attendre une auto-interprétation du magistère. Cette interprétation définitive n'étant pour l'instant pas donnée, le débat interprétatif perdure. Pourtant ceux qui voient une nouveauté homogène dans AL considèrent que le débat est clôt et que les auteurs des dubia ratent le point central de l'exhortation. Le cœur de toute la démarche exposée dans l’Exhortation serait le discernement en conscience. Discernement du fidèle en « situation dite irrégulière »; mais aussi discernement du pasteur quant à la manière d'accompagner le fidèle dont il a la charge. Dans ces deux cas, la voie privilégiée par le pape serait effectivement la conscience comme organe du discernement. Cette voie est présentée comme traditionnelle mais trop négligée jusque-là dans la praxis de l’Eglise.

Emprunter résolument cette voie, c’est-à-dire prendre davantage en compte la conscience du fidèle, permettrait ainsi de lire AL comme un développement homogène de ce que FC portait déjà implicitement. Ainsi le cardinal Schönborn s’appuie sur le n° 84 de FC dans lequel saint Jean-Paul II appelle le pasteur à discerner différentes situations. Certains DR peuvent avoir accès aux sacrements « tout en restant publiquement dans une situation objectivement irrégulière » s’« ils s’abstiennent des actes réservés aux époux, donc », continue le cardinal autrichien, « une condition qui relève de la chambre à coucher et de la conscience des sujets : mêmes s’ils vivent en frère et sœur, objectivement ils mènent une vie de couple. Il y a donc une non-équivalence pure et simple entre la situation objective et la réalité de grâce devant Dieu et son Eglise. Il (Jean-Paul II) ouvre une porte à une compréhension plus large passant par le discernement des différents cas qui ne sont pas objectivement identiques et par la prise en compte du for interne. »[3] Plusieurs remarques sur cette interprétation. Notons l’usage remarquablement ambivalent du mot objectivité. Le cardinal utilise ici le terme dans une acception mondaine. Cet homme et cette femme apparaissent comme mariés. Et même vivant en frère et sœur, aux yeux du monde s’ils cohabitent sous le même toit, leur « situation objective » est de former un couple. Or ils peuvent néanmoins être fidèles à la volonté de Dieu, en tant que pour Jean-Paul II, ils reconnaissent justement qu’ils ne sont pas unis par un lien conjugal et assument donc dans leur vie la vérité de leur situation (= objective au sens strict et traditionnel du terme). En effet, dans la tradition et le vocabulaire de l’Eglise l’objectivité morale et sacramentelle est prise du côté de Dieu et de la nature du bien personnel et non selon les normes de la société.  Du coup, le cardinal utilise cette ambiguïté terminologique pour laisser penser que dans ce texte, saint Jean-Paul II rendrait possible un élargissement des cas par le biais du for interne (coupé de la loi de Dieu telle que la rappelle pourtant explicitement saint Jean-Paul II). Or aucun moment le saint pape n’affirme que les DR mènent « une vie de couple » ce qui suggérerait qu’il y aurait un lien de nature analogiquement conjugale entre eux ; doctrine niant l’indissolubilité du mariage. L’accès aux sacrements ne relève donc pas, selon FC, du for interne et de la chambre à coucher (opposé à l’objectivité dans son acception sociale) mais bien de l’objectivité de  devant Dieu et devant l’Eglise, réfléchie par la conscience droite du fidèle[4].

Selon les partisans d’un d’une nouveauté homogène, en quoi y-aurait-il complémentarité entre les approches d'AL et de VS ? AL prendrait une voie d'immanence, valorisant l'historicité du sujet en chemin vers Dieu; VS manifesterait la voie transcendante, valorisant l'objectivité de la loi de Dieu.

La meilleure prise en compte de la conscience du fidèle par le pasteur pouvant, dans certains cas, engendrer l'accès aux sacrements aux DR vivant more uxorio repose sur deux séries d'arguments:

-ceux visant à déterminer le degré d'imputabilité (et donc parfois de non-imputabilité) de la personne vivant dans une situation objectivement désordonnée. Est ainsi mobilisée la doctrine classique de la conscience invinciblement erronée.  Soulignons d'emblée les objections que fait naître une telle argumentation. Ce type de conscience non coupable peut-il être invoqué dans le cas d'une situation d'adultère? En effet, l'ignorance du caractère indissoluble et exclusif du mariage n'est-elle pas une cause d'invalidité? Dans une telle hypothèse, la question ne se poserait plus ou en tout cas, elle trouverait une toute autre issue (un procès canonique). Admettons malgré tout que parfois l'ignorance ne suffise pas à déterminer la nullité canonique, quel serait alors le rôle du pasteur? Peut-il laisser le fidèle dans une ignorance due à des conditionnements mauvais et ainsi cautionner devant lui un choix de vie en contradiction avec la volonté de Dieu et donc avec son propre bien?

-La deuxième série d'arguments est très différente et nettement moins traditionnelle. Ceux-ci visent à reconnaître une certaine validité objective à des situations concrètes où les DR vivent more uxorio. Sont ainsi parfois invoqués des conflits de devoirs (AL, 298 et 301) exigeant un discernement en conscience. Sont valorisées des qualités telles que la « stabilité », la « fidélité » des concubins. On utilise la notion de couple et un vocabulaire de nature conjugale. Enfin, certaines de ces nouvelles unions sont perçues comme reflétant analogiquement l'union du Christ et de l'Eglise (AL, 292). S'il peut y avoir des éléments de conjugalité dans ces « remariages » civils, peut-on penser que le discernement va consister à déterminer si tel choix de vie correspond à ce que Dieu demande à ce moment à ces fidèles objectivement en état d'adultère?

Le point de convergence entre ces deux séries d'arguments semble être effectivement constitué par cette phrase centrale de l’argumentation développée par l’Exhortation: « Cette conscience peut reconnaître non seulement qu'une situation ne répond pas objectivement aux exigences générales de l'Evangile. Mais encore, elle peut reconnaître sincèrement et honnêtement que c'est, pour le moment, la réponse généreuse qu'on peut donner à Dieu, et découvrir avec une certaine assurance morale que cette réponse est le don de soi que Dieu lui-même demande au milieu de la complexité concrète des limitations, même si elle n'atteint pas encore pleinement l'idéal objectif. » (AL, 303) Il semble y avoir ici un glissement subreptice entre la doctrine de la conscience non coupable vers la théorie selon laquelle un discernement de conscience, pouvant être reconnu comme subjectivement défendable, doit être reconnu comme objectivement acceptable. Comment un vrai « don de soi » à Dieu peut-il être qualifié de situation adultérine ? Dieu pourrait-il demander l’impossible ? A savoir deux choix contradictoires : « sois fidèle à ton conjoint » et « ne sois pas fidèle » ? On voit bien ici que le concept de « situation » est en fait ambigu ; il désigne à la fois un complexe habituel de vie et un acte volontaire. Dans quelle mesure ce terme de situation ne brouille-t-il pas le lien constitutif de la vie et de la morale chrétiennes, entre personne et acte ?

Dans cette perspective confuse, le pasteur, appelé à mieux prendre en compte la conscience du fidèle, a dans une telle « situation » un rôle de confirmation externe de son discernement en conscience. Il s'agit donc de savoir si la jonction de ces deux séries d'arguments ne présuppose pas de facto deux théories explicitement condamnées par saint Jean-Paul II: celle de la gradualité de la loi morale (FC, 34) et celle de la conscience créatrice (VS, 56). Tel est l'objet principal des dubia. 

Or les partisans d'une nouveauté homogène récusent cette accusation et considèrent que le développement qu'apporte AL à FC ne s'oppose pas à VS. Ils invoquent pour se faire l’autorité de saint Thomas d'Aquin (sa conception de la loi et de son application aux cas singuliers) et de saint Ignace de Loyola (sa conception du discernement). Leur présupposé est qu’il existerait une complémentarité entre l’approche par la loi morale et l’approche par la conscience. Il s'agit alors de comprendre comment ils cherchent à articuler les deux approches pour échapper au soupçon de discontinuité et donc de nouveauté contradictoire :

-La loi détermine un idéal vers lequel tous sont en chemin. Personne n’est parfait et ne correspond à la perfection de cette loi. Tous sont pécheurs et donc tous ont à recevoir la miséricorde. Telle est « la logique de l’intégration » qui s’oppose à la logique binaire[5] du permis et du défendu (du blanc ou du noir) de l’exclusion.

-Mais cette loi universelle et parfaite est abstraite. Il faut donc l’appliquer au concret de l’existence de chaque sujet en devenir, selon sa situation présente et selon ses capacités. C’est ici qu’intervient le rôle central de la conscience qui doit discerner ce que Dieu veut en fonction de ces différents critères, formant un prisme à travers lequel la loi se réfracte. 

Revenons sur ces trois termes décisifs.

-Le devenir devient plus important que la vérité sur le bien réalisable de et par la personne.[6]

 

-La situation devient ce à quoi il s’agit d’appliquer la loi mais celle-ci n’est qu’un élément du discernement. Il faut y ajouter les circonstances (souvent vues comme atténuantes) et l’intention (souvent vue comme droite, cf. la théorie de « l'option fondamentale » VS, 67). La conscience devient alors l’instance qui détermine ce à quoi Dieu appelle le fidèle. Elle n’est plus ce qui manifeste la loi de Dieu obligeant à agir mais ce par quoi l’obligation est déterminée. On est ici au cœur du glissement entre subjectivité erronée et objectivation de l’erreur. Dans la doctrine de la conscience invinciblement erronée, la personne se découvre obligée par ce qu’elle pense (à tort) être la loi de Dieu (De Veritate, Q.17, art. 4). Or ici la loi de Dieu n’est plus qu’un élément à pondérer par d’autres éléments concrets et particuliers.

-Les possibilités concrètes du fidèle sont invoquées comme critère à l’aune duquel la volonté de Dieu se détermine. Dieu pourrait-il condamner à l’impossible ? Ici le louable souci pédagogique engendre un regard davantage psychologique et sociologique que théologal. (Cf. VS 103[7]) sur les réelles capacités concrètes de l’homme sauvé par le Christ. Comment éviter que l’accompagnement ne sombre paradoxalement dans le pélagianisme. Comment éviter que la miséricorde divine ne soit réduite qu’à une tolérance mondaine ? Dieu acceptant des compromis et se résignant au moindre mal dans l’homme au vu de ses limites. 

Le présupposé de cette articulation entre loi et conscience est que le commandement divin est compris comme abstrait, donc éloigné du concret existentiel des personnes[8]. Cette conception de la loi n’est-elle pas plus kantienne que chrétienne ? Certes le commandement de Dieu est universel puisque tel est le mode selon lequel Dieu, cause universelle, gouverne ses enfants. Mais la loi de Dieu est aussi éminemment personnelle et concrète puisqu’elle est une loi inscrite dans le cœur de chaque personne. Par exemple : elle est ce par quoi Dieu me dit : « Si tu veux m’adorer et être heureux, aime ton épouse et sois-lui fidèle ». Il convient enfin de distinguer les commandements négatifs proscrivant des actes intrinsèquement mauvais, c’est-à-dire des limites en deçà desquelles aucun homme ne peut réaliser son bien voulu par Dieu) et des commandements positifs dont la réalisation exige un discernement prudentiel pour être toujours mieux accomplis. Notons que jamais saint Ignace n’utilise les règles du discernement des esprits à propos d’actes proscrits par la loi de Dieu. Voir la loi comme toujours abstraite et appelant, à ce titre, comme complément nécessaire un discernement est donc une conception légaliste et mondaine de la loi.

Nous constatons donc que de nombreux arguments utilisés pour légitimer la nouveauté homogène entre AL et FC sont en fait repris  du débat théologique et pastoral qui a suivi la publication d’HV. Or dans ce débat la ligne contestataire a été adoptée par de nombreux pasteurs avec les résultats que l’on connaît : ce qu'il faut oser nommer un fiasco pastoral. En effet, l’enseignement d’HV a comme été court-circuité par l’interprétation qui en a été donné à l’époque. A savoir : le pape  fait part de l’idéal sur le mariage et sur la manière dont les couples doivent exercer leur paternité et leur maternité responsable mais chaque couple en conscience doit arbitrer devant Dieu les possibles « conflits de devoirs » qu’il rencontre (par ex. La note pastorale sur HV des évêques de France de novembre 1968, §16) Cette réception a été pratiquement une liquidation. La normativité morale a été transformée en un simple conseil réservé aux plus zélés des fidèles, à ceux qui vivaient dans des conditions optimales pour le vivre. De là, à l’intégrer dans une pastorale systémique du mariage et de la sexualité conjugale, il y a un pas que bien peu ont franchi. Aujourd’hui, dans des pans entiers de l’Eglise, HV est ignorée. Ainsi l'autre jour dans une paroisse de la région parisienne, un couple généreux proposant au curé d’organiser des soirées sur les méthodes naturelles a reçu une réponse négative. Pourquoi en effet culpabiliser ceux qui ne peuvent pas vivre cet « idéal » ?

On voit là qu’il existe une manière de penser la pastorale qui la rend inopérante, une manière de poser un problème comme « pastoral » en perdant de vue que ce qui se joue dans la pastorale est la sainteté à laquelle Dieu nous appelle tous, sans exception. Il existe une manière d’invoquer la pédagogie divine et la loi de gradualité qui engendrent de facto une perte de vue de la finalité du chemin. Il faut accompagner les DR certes, mais vers quoi ? Qui ose encore rappeler l’exigence de la fidélité à son conjoint et donc l’exigence de la séparation d’avec celui qui ne l’est pas ? Comment penser que détourner le terme de « fidélité » pour l’attribuer à la nouvelle union peut aider les DR à se séparer pour entrer dans le dessein de Dieu sur eux ? Par peur du commandement de Dieu, on préfère souvent se concentrer sur l’accompagnement du devenir, mais en oubliant parfois que le devenir n’est pas une fin en soi. Il peut exister un « bougisme » pastoral où la finalité est occultée car elle est identifiée au terme d’un chemin quasi infini, en tout cas lointain et perdu dans la brume. Mais la finalité de la vie chrétienne n’est pas dans le futur, elle est dans le présent : l’union amoureuse avec Dieu qui offre avec générosité la grâce pour y consentir librement. Cela ne va jamais sans la Croix mais Jésus nous y attend.     

Une bonne partie de l’enseignement de saint Jean-Paul II a été donnée pour répondre à cette crise post-HV : la théologie du corps, FC et bien sûr VS peuvent être vus comme les réponses doctrinales et pastorales à cette réception-liquidation. Comment éviter aujourd’hui que ne se reproduise quant au mariage ce qui s’est produit hier quant à la régulation des naissances ? En attendant que l’équivalent ait lieu demain quant à « l’amour des homosexuels » ?

L’interprétation pointant la soi-disant nouveauté homogène  d’AL sur la discipline sacramentelle n’est pas pertinente car cette nouveauté est légitimée par des présupposés qui sont opposés à la doctrine et à la vie chrétiennes. Si l’on veut maintenir la cohérence entre AL et FC, il faut donc se tenir à l’interprétation donnée, par exemple, par les professeurs de l’Institut Jean-Paul II ou de Mgr Chaput ; et se concentrer sur l’accompagnement pastoral, mesuré par l’ordre de la conscience, ordre dont la clef de voûte est la volonté de Dieu.

Le pasteur est au service des brebis que Dieu lui a confiées pour les accompagner à la Vie éternelle. Or quel est le droit de la conscience fondant le devoir du pasteur ? Le droit à la vérité sur le bien intégral qu’il a à réaliser avec la grâce de Dieu. Ce droit est l'envers du « devoir grave et sacré de former sa conscience » (VS, 64). Le pasteur a ainsi à se mettre au service de la subjectivation adéquate de ses brebis et, à ce titre, à veiller à la formation de la conscience de ceux qui lui sont confiés (CEC 1797[9]). Tel est l’enjeu de la vie chrétienne. La maturation d’une subjectivité à l’image de Dieu, à savoir la sainteté qui est tout sauf la conformité à une règle extérieure à la personne ?

Tout cela présuppose chez le pasteur une attitude de l’esprit et du cœur : comprendre à quel point un acte intrinsèquement mauvais prive la personne de son vrai bien. Cela exige une claire conscience du bien en question à réaliser et de ce qui s’y joue : le salut éternel ou bien la damnation. Plus le bien est relativisé plus sa privation apparaît comme anodine et finalement légère. Aujourd’hui de puissants conditionnements sociaux et mentaux (structures de péché dont la source profonde est Satan) tendent à occulter la bonté propre du dessein de Dieu sur le mariage, la sexualité humaine et l’amour sponsal ; et à créer ainsi une distance toujours plus grande entre les commandements de Dieu et la réalité des personnes. Cette distance peut apparaître à beaucoup comme infranchissable et peut ainsi exercer une pression très forte sur les épaules des pasteurs. Dès lors, certains peuvent se poser la question : « comment soulager ce fardeau trop lourd à porter ? » La réponse est malheureusement évidente : en le présentant comme un idéal (futur) et en amenant les fidèles à le considérer comme pratiquement optionnel. Ce sociologisme et ce psychologisme pélagiens est contraire au dessein de Dieu révélé et confié à son Eglise. Et il est contraire au bien que chacun peut réaliser avec la grâce toute-puissante de Dieu.  Car « rien n’est impossible à Dieu ».

«Personne, même justifié, ne doit se croire affranchi de l'observation des commandements. Personne ne doit user de cette formule téméraire et interdite sous peine d'anathème par les saints Pères que l'observation des commandements divins est impossible à l'homme justifié. " Car Dieu ne commande pas de choses impossibles, mais en commandant il t'invite à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas " et il t'aide à pouvoir. « Ses commandements ne sont pas pesants » (1 Jn 5, 3), " son joug est doux et son fardeau léger " (cf. Mt 11, 30) » [10]

[1]  José Granados, Stephan Kampowski, Juan José Pérez-Soba, Amoris laetitia Accompagnere, discernere, integrare, Cantagali, 2017, p. 123-171

[2]Notamment et principalement le cardinal Schönborn, les Pères Spadaro et Scanonne ainsi que Rocco Buttiglione

[3]Cardinal Schönborn, Entretien sur Amoris laetitia avec Antonio Spadaro, Parole et silence, 2017, p. 71-72 Ou encore : « FC et SC nous introduisaient déjà dans le discernement, - au sein même des situations objectivement irrégulières- de cas qui peuvent s’approcher de la table eucharistique parce qu’ils ont pris la résolution intime de vivre en frère et sœur. AL fait un pas de plus dans cette direction ouverte par Jean-Paul II en disant que dans la situation actuelle, après une « réflexion sur les conditionnements et les circonstances atténuantes (…) il n’est plus possible de dire que ceux qui se trouvent dans une situation dite irrégulière vivent dans une situation de péché mortel, privé de la grâce sanctifiante. » (AL , 301) » Idem, p. 81

[4]Il apparaît ici à quel point la forma mentis dans laquelle le cardinal aborde le problème est légaliste. Le commandement de Dieu est compris selon le modèle externe des lois humaines. Du coup, toute l’intériorité est rabattue sur l’intimité du sujet, sur sa concrétude, pôle opposé à la loi. Or la conscience est ce par quoi l’objectivité de la loi divine se manifeste au plus profond du sujet.  

[5]« Au-delà de régulier et de l’irrégulier, nous sommes tous mendiants de la grâce ». Cardinal Schönborn, Entretien sur Amoris laetitia avec Antonio Spadaro, Parole et silence, 2017, p. 59

[6] Comme le dit le Père Spadaro retrouvant une conception qui a fait les beaux jours de l’évangélisation par l’enfouissement : « A ce point, il n’est pas nécessaire de « faire » quelque chose avec ce que l’on a entendu et observé. Sont essentiels : l’attente patiente et le regard unis à l’écoute sérieuse, et donc consentir à ce que les éléments de la vie et de l’appel parviennent à mûrir et à se mettre en contact ». « Le défi du discernement dans Amoris laetitia », Civiltà cattolica, n°116, 31 octobre 2016, p. 45

[7] « Mais quelles sont les  » possibilités concrètes de l’homme  » ? Et de quel homme parle-t-on ? De l’homme dominé par la concupiscence ou bien de l’homme racheté par le Christ ? Car c’est de cela qu’il s’agit : de la réalité de la Rédemption par le Christ. Le Christ nous a rachetés ! Cela signifie : il nous a donné la possibilité de réaliser l’entière vérité de notre être ; il a libéré notre liberté de la domination de la concupiscence. »

[8]« Il est mesquin de se limiter seulement à considérer si l’agir d’une personne répond ou non à une loi ou à une norme générale. » (AL, 304)

[9]« Si – au contraire – l’ignorance est invincible, ou le jugement erroné sans responsabilité du sujet moral, le mal commis par la personne ne peut lui être imputé. Il n’en demeure pas moins un mal, une privation, un désordre. Il faut donc travailler à corriger la conscience morale de ses erreurs. »

[10] Concile de Trente, Décret Cum hoc tempore (Cité par VS, 102)

*Docente di Filosofia morale e politica al Collège Stanislas, Parigi (Francia)